Jamais Nicolas Sarkozy n’avait été aussi loin dans la veine du discours national et républicain, dans l’exaltation « du génie de notre peuple » et « du miracle français », dans l’affirmation presque chauvine d’un dessein collectif qui dépasserait chacun de ses membres. Même aux grandes heures de sa campagne présidentielle de 2007 et sa proposition d’une « fierté française ». Jeudi 12 novembre, depuis La Chapelle-en-Vercors (Drôme), où il a décidé d’apporter sa contribution au débat sur l’identité nationale, le Président a sorti le grand jeu. Tout y est passé. De la nation – « qui est un principe spirituel » – au Français – « qui reconnaît d’instinct un paysage français et qui s’y sent bien » –, des grandes banques – « qui étaient internationales quand tout allait bien mais qui sont redevenues nationales quand il a fallu les sauver » – à « l’âme de la France » – ses grands hommes, ses héros –, des valeurs de la République au retour de l’Etat dans l’économie et la liste des « renoncements » devant tout ce qui mine la fierté nationale et le sentiment d’appartenance… Un genre de fantasia.L’exception française, sa culture, sa littérature, son rapport au monde. Ses transcendances morales et administratives. La France de toujours. L’autre politique. Avec des références à Marc Bloch, André Malraux, Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Pas un mot pour l’Europe, pas une pensée pour l’ailleurs. Les monuments aux morts français, les clochers et les cimetières français, seuls. Ce n’était plus « Sarko-l’américain », le libéral bon teint des premiers mois du quinquennat, le président décomplexé qui assumait « le job » et son augmentation de salaire, c’était tour à tour le maître d’école à l’ancienne, le général, le curé haut de gamme pour dire l’identitaire et appeler au dépassement. Faire peur aussi. Même les mots ont sonné différemment dans la Drôme. Ils ne faisaient plus « bling-bling » mais « bang-bang ». On se serait cru au défilé
Séguin, Pasqua, Chevènement… et maintenant SarkozyL’autre politique. Les plus jeunes des lecteurs de Mediapart ignorent peut-être à quoi ces mots renvoient, tandis que les plus anciens ont pu en oublier la singulière destinée. Pourtant, tel un pied de nez surprenant de l’histoire, plusieurs signes montrent que ce concept – qui s’est développé tout au long des années 1990, porté par le trio de choc Philippe Séguin, Charles Pasqua et Jean-Pierre Chevènement – retrouve une seconde jeunesse au moment où le pouvoir sarkozyen, au mitan de son quinquennat, connaît un sérieux coup de fatigue. Et où – ironie suprême – et Pasqua et Chevènement et Séguin peinent à entretenir leur lustre d’antan.
L’autre politique, donc. De quoi s’agissait-il ? De transcender les courants de la gauche et de la droite pour briser « la pensée unique », de redonner au cadre national sa légitimité et à l’Etat une plénitude que les lois de décentralisation de 1982 et la construction européenne avaient fini par cantonner au second rang. De faire émerger un esprit de résistance contre le dogme libéral, de remettre les valeurs de la République au cœur de l’offre politique, en un mot d’en appeler au peuple souverain pour que la volonté politique l’emporte sur la résignation.
En 1994, après avoir quitté le PS en appelant à voter « non » au traité européen de Maastricht alors que son parti militait pour le « oui », Jean-Pierre Chevènement obtenait 2,54% des voix aux élections européennes sur une liste dénommée « l’autre politique ». La même année, en pleine guerre Balladur-Chirac, Philippe Séguin fondait le Rassemblement pour une autre politique (RAP). En 1999 – après la fusion de plusieurs groupuscules gaullo-souverainistes – Charles Pasqua envoyait treize élus à Strasbourg sur des listes du Rassemblement pour la France… avant que certains d’entre eux ne rallient la candidature de Jean-Pierre Chevènement en 2002 (5,33%). Un petit monde fait de passerelles idéologiques et de références communes pour un projet ambitieux : une « certaine idée de la France » gaullienne, la République façon Jules Ferry et le service de l’Etat chevillé au corps. Une certaine exigence.
Max Gallo a été de cette équipée, Henri Guaino aussi. Ils sont tous deux aux côtés de Nicolas Sarkozy, le premier comme consultant occasionnel du chef de l’état, spécialiste en « grand roman national » ; le second comme conseiller spécial du chef de l’Etat. Les deux ont participé à la rédaction du discours de La Chapelle-en-Vercors.
Une vieille histoire revisitéeJean-Marie Bockel, longtemps « chevènementiste » avant de devenir « blairiste », est aujourd’hui secrétaire d’Etat à la justice dans le gouvernement Fillon. Son conseiller politique, Gilles Casanova, se souvient du temps où il croisait Henri Guaino dans les réunions de la fondation Marc-Bloch, un think tank transcourants célèbre à l’époque pour rassembler les bouffeurs de pensée unique : « Coincé entre les collectivités locales et l’Europe, l’Etat français se marginalisait. En tout cas, il avait perdu sa vista. Par ailleurs, l’opinion se détournait de la politique, l’impression était grande pour beaucoup que l’avenir échappait, que les choses importantes se décidaient à l’ONU, à Bruxelles, au FMI. Il fallait remettre de la politique dans la société. Dans les années 1997, 1998, nous avons été quelques-uns à penser que la puissance publique devait recouvrer ses moyens d’intervention. Et qu’il fallait replacer la Nation comme seul cadre dans lequel les enjeux démocratiques pouvaient s’exprimer. C’était ça, l’autre politique, une réaction d’hostilité au fatalisme ambiant, un nouveau souffle. »
La Fondation Marc-Bloch n’a pas passé le millénaire mais son esprit perdure à travers un tas de structures, de gauche, comme de droite. Pourtant Gilles Casanova veut croire en la victoire posthume de ces idées. « Ségolène Royal, dont Jean-Pierre Chevènement a été un des pourvoyeurs d’idées pendant sa campagne, et Nicolas Sarkozy, chacun avec leurs options, ont tenu ce discours de rupture et ils ont été entendus puisque jamais une élection présidentielle n’avait connu une telle participation auparavant. Pour ce qui concerne le président de la République, on peut dire que 2007 marque l’influence du trio Pasqua-Séguin-Chevènement : sur la nation, les valeurs de la République, la place de l’Etat, le rôle du travail et de l’autorité, le rang de la France dans le monde, leurs idées ont été la base qui a permis à Nicolas Sarkozy de gagner en renouvelant l’édifice idéologique de la droite. »
Le discours de La Chapelle-en-Vercors s’inscrit dans cette lignée. Il en est même l’expression la plus achevée. Polarisé par les premiers mois du quinquennat, accaparé par les baisses d’impôts et autres attaques contre le train de vie de l’Etat, l’observateur a toutes les raisons de ne voir que le parti pris libéral du régime, parfois même libertaire. Le sarkozysme empile son attachement aux lois économiques du marché avec une certaine décontraction au plan sociétal. Evidemment. Mais il y a aussi – et de plus en plus – une tentation vers « l’autre politique », un bonapartisme martial, replié sur un modèle social privilégiant le mérite et l’égalité, affranchie des contraintes extérieures, impérieuse dans sa demande de voir reconnu le rang de la France dans le monde.
L’« autre politique » en cette fin d’année 2009 ? Une devinette permet de déceler la présence du concept dans ce que Nicolas Sarkozy appelle le « paysage français », mais politique cette fois. Quel rapport entre les 63 députés UMP, début novembre, qui demandenten vain un grand emprunt digne de ce nom, entre 50 et 100 milliards, et les 24 sénateurs UMP qui affirment qu’ils ne voteront pas le budget tant que le gouvernement n’aura pas précisé comment il va assurer le financement des collectivités locales après la suppression de la taxe professionnelle ? Précisément, cette perspective, qu’il faut en finir avec les recettes qui ont conduit à l’étiolement du politique et de l’Etat (vive le grand emprunt !), toutes ces idées ultralibérales, « européistes » qui ont sapé le cadre national (à bas la décentralisation et l’autonomie des collectivités locales !).
« Pour construire la France du XXIe siècle, la France de l’après Kyoto, de la croissance verte, de la révolution numérique, pour bâtir les infrastructures, les universités, les laboratoires, les grandes métropoles de premier rang, écrivent les députés dans Le Monde, nous devons pouvoir mobiliser une masse critique de plus de 50 milliards d’euros, voire pourquoi pas, si les projets le justifient jusqu’à 100 milliards d’euros d’investissements publics supplémentaires. » L’autre politique pur jus : il existe de bons déficits, correspondant à des dépenses vertueuses, qui préparent la croissance de demain, elles seules pouvant résorber les mauvais déficits et il faut savoir tourner le dos à l’orthodoxie budgétaire de Bruxelles.
Cette vision, Henri Guaino la porte depuis plus de quinze ans. L’ancien patron du Commissariat général du plan avait essayé de la faire adopter à Jacques Chirac à l’automne 1994 (300 pages d’un pavé titré L’Autre Politique), il s’y est à nouveau attelé avec Nicolas Sarkozy, avec toujours la même infortune. Le grand emprunt, on le sait, a finalement accouché d’une souris (25 à 30 milliards). Mais le fait est que la tentative a failli réussir. Avec la crise, les critères de Maastricht (interdiction d’un déficit public annuel supérieur à 3% du PIB) ont explosé et les tenants de l’autre politique y ont vu une chance de s’engouffrer dans la brèche.
D’ailleurs, cette nouvelle tentative de casser les dogmes laissera des traces. Il n’est qu’à observer comment la commission européenne a rappelé la France à ses obligations pour faire tomber le déficit de 8,2% en 2010 à 3% en 2013, et comment Christine Lagarde et François Fillon (longtemps le second de Philippe Séguin) lui ont répondu. Les deux renvoyant, au mieux à 2014, le retour dans les clous de Maastricht. A la fureur des commissaires et des autres pays. Il est piquant de voir l’Espagne ou l’Irlande, sans parler de l’Allemagne, s’engager dans la voie d’un retour à l’orthodoxie budgétaire, quoi qu’il en coûte, alors que la France traîne des pieds et n’en fait qu’à sa tête. L’autre politique n’aime pas Bruxelles et ses canons libéraux. A l’inverse, si l’on ose dire, l’autre politique a toujours assumé des hausses d’impôts pour permettre à l’Etat d’assurer ses missions. Quand la reprise se fera véritablement sentir (le gouvernement table sur 2010), il sera intéressant d’assister à la lutte entre les tenants d’une fiscalité allégée (encore majoritaires) et ceux qui réclameront qu’il soit mis fin au bouclier fiscal et que davantage d’entreprises et de menages s’acquittent de l’impôt.
Contradiction sarkozyste ainsi illustrée : le 11 novembre, le chef de l’Etat déclare à la chancelière allemande Angela Merkel : « Nous partageons les mêmes valeurs, la même ambition pour l’Europe, la même monnaie. Dès lors, il est naturel que s’organise l’association de plus en plus étroite de nos politiques allemandes et françaises. » Le 12 novembre, le même homme tourne le dos à ces convergences nécessaires pour flatter une identité singulière, presque chauvine, exclusivement tournée vers le passé et dont on voit mal les capacités d’entraînement sur la France telle qu’elle est aujourd’hui.
La République des préfets
Mais ce n’est pas tout. L’autre politique trouve également à s’exprimer avec la réforme des collectivités locales, la suppression de la taxe professionnelle et la réforme de l’Etat, toutes choses qui arrivent sous les feux de l’actualité en cette fin d’année 2009. Dans la plus grande discrétion, c’est-à-dire à coups de circulaires signées par le premier ministre (voir sous l’onglet Prolonger), Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, et une escouade de préfets à ses côtés, sont en train de transformer en profondeur le paysage administratif français.
D’ici au 1er janvier 2010, sans que le Parlement ou les syndicats de fonctionnaires soient impliqués, en dressant les ministères les uns contre les autres, voici que le corps préfectoral a pris le pouvoir sur les rouages de l’Etat déconcentré. Jusqu’à présent, la République faisait en sorte que les politiques publiques décidées à Paris descendaient jusque dans les territoires grâce à une chaîne hiérarchique qui partait du ministère pour gagner la moindre bourgade. C’est fini. Dorénavant, un schéma identique préside à l’organisation nationale : la métropole est divisée en vingt et une régions (l’Ile-de-France est à part avec le projet du Grand Paris), dix directions subsistent (la trésorerie, l’éducation nationale, la santé, l’environnement, les entreprises et le travail, la culture, etc.). Les autres, une vingtaine, sont supprimées, les préfets de région ont la main sur les préfets de départements, et c’est à ce niveau régional que s’arrêtera la continuité de l’Etat.
Dans les départements, seules les inspections académiques, la sécurité intérieure et la trésorerie générale continuent de bénéficier de la verticalité qui existe aujourd’hui. Ça tombe bien : l’offensive des préfets va rentrer en résonance avec ce que les parlementaires discuteront et voteront de leur côté en matière de collectivités locales. La réforme des collectivités locales envisagera la fusion des élus régionaux et départementaux en un conseiller territorial et entendra diviser par deux le nombre des élus (de 6000 à 3000). Moins de fonctionnaires ici, moins d’élus là. La même volonté de liquider les départements. Dans ce double mouvement, les vingt et un préfets de région vont devenir vingt et un vice-premiers ministres en puissance, chacun dans leur circonscription, à la tête de l’appareil d’Etat déconcentré.
« L’Etat abandonne le niveau départemental. En matière d’aménagement du territoire, de déchets, d’eau, d’ingénierie, il faudra maintenant qu’un maire traite au niveau de la région pour faire avancer ses dossiers. Déjà que le financement des collectivités locales se fera au niveau national avec la disparition de la Taxe professionnelle, mais on concentre le pouvoir, ce sera le préfet de région qui décidera de tout. De ce point de vue, on assiste à une mise sous tutelle des élus », observe Pascal Pavageau, le secrétaire confédéral de FO à l’économie et un des meilleurs connaisseurs de l’Etat. On a vu le processus en 2008 et en 2009 : quand un ministère doit supprimer des emplois, c’est au niveau du département qu’il le fait. D’ici à 2012, deux tiers des effectifs (90.000 fonctionnaires ) auront disparu. Ailleurs, l’Etat se dégraisse, les missions, les services sont transférés au privé. L’Etat prestataire, l’Etat solidaire disparaît petit à petit. Il ne restera que l’Etat régalien sur des missions d’ordre et de levée de l’impôt. Aujourd’hui, quand à Paris, on veut peser sur les chiffres des accidents de la route par exemple, la délégation à la Sécurité routière dispose des moyens de discuter avec des interlocuteurs sur le terrain. Avec la réforme, c’est fini. Tout s’arrête au niveau régional. Plus bas, c’est le grand flou, la porte ouverte à toutes les disparités. Les préfets ont repris le pouvoir sur les élus et sur les ministères au détriment de l’égalité. »
En gros, sous couvert de faire subir à l’Etat central une cure d’amaigrissement et d’en finir avec le millefeuille administratif français, Nicolas Sarkozy, ou pour être précis, son secrétaire général, Claude Guéant, seraient en train de « recentraliser » le pays, en tuant l’autonomie des territoires pour mieux assurer la mainmise de l’administration centrale. Le pouvoir s’exercera sur moins de domaines mais de manière plus serrée. Et au détriment des élus. L’autre politique déteste la subsidiarité prônée par la Commission européenne. Ses partisans sont aux manettes dans les bureaux de l’Elysée.
Les sénateurs, emmenés par Jean-Pierre Raffarin, en font le procès ouvertement au gouvernement. « Je ne laisserai pas toucher à la décentralisation », répète l’ancien premier ministre de Jacques Chirac. Sur son blog, il déclare : « Je veux dire que les décentralisateurs doivent veiller à ce qu’on ne remplace pas, justement, des élus de province par des fonctionnaires à Paris. » Il a tort. Au niveau des territoires et à l’échéance de 2014, la réforme consistera à réduire au contraire le nombre de fonctionnaires. Nicolas Sarkozy a annoncé la couleur à Saint-Dizier (Haute-Marne) : « Notre pays – je pèse mes mots – ne peut pas continuer ainsi. C’est un déni de démocratie que de ne pas permettre aux électeurs de savoir qui fait quoi, qui dépense quoi, qui est responsable de quoi, ni aux élus d’être jugés sur des politiques dont ils ont réellement la maîtrise. Et quand tout le monde s’occupe de tout, soit personne ne s’occupe de rien, soit on gaspille par une logique de concurrence, de saupoudrage et de guichet. »
Le préfet, et le préfet de région, devient le personnage central de cette mini-révolution silencieuse. L’autre politique ? Cette assertion en juin 2009 dans Le Chêne et l’Olivier, le journal de l’association du corps préfectoral, véritable revue théorique de la recentralisation :« Aux côtés des collectivités locales et dans un contexte de crise, le préfet a aujourd’hui la responsabilité de réenchanter les partisans comme les détracteurs de l’action publique dans les territoires, notamment et de plus en plus par la force de la conviction. » Ordonner le monde pour mieux l’enchanter. On dirait du Max Gallo.
Il est intéressant de jeter un œil aux parcours des protagonistes de cette affaire. Claude Guéant a été repéré par Charles Pasqua qui en a fait un directeur de la police nationale en 1994, avant que Jean-Pierre Chevènement ne devienne ministre de l’intérieur sous le gouvernement Jospin. Et c’est quand celui-ci finit par obtenir la tête de cet homme de droite que Jean-Pierre Chevènement, pour bien montrer son attachement au précieux fonctionnaire, en fera le préfet de région de Franche-Comté. Sa Franche-Comté. Claude Guéant se moque de la politique partisane, il est arrivé dans le giron sarkozyen en 2002, a pris sa carte à l’UMP en février 2005, et il n’est même pas sûr qu’il est à jour de ses cotisations. En revanche, il est certain que l’homme fort de l’Elysée a bien choisi ses collaborateurs.
Cédric Goubet, le chef de cabinet de Nicolas Sarkozy, a été rencontré sur les terres de Chevènement, en France-Comté. Il en a fait son directeur de cabinet en préfecture jusqu’en juillet 2002, pour le convier à Bercy une fois Nicolas Sarkozy devenu ministre du budget.
Christian Frémont, l’actuel directeur de cabinet du président de la République, était au ministère de l’intérieur en tant que directeur général de l’administration. Secrétaire général, directeur de cabinet et chef de cabinet, ces trois hommes sont les trois têtes organisatrices du cabinet du Président. Trois de la préfectorale. Effet du hasard ?
Si on ajoute Henri Guaino, ces hommes incarnent tous une manière de gouverner, une certaine conception de la démocratie et de la modernité en politique. Il ne faudrait pas oublier une pièce importante, un autre préfet, Jean-Paul Faugère, le directeur de cabinet de François Fillon, un ancien du ministère de l’intérieur à l’époque Pasqua, directeur des Libertés publiques et des affaires juridiques.
D’autres noms pourraient être ajoutés à liste. La Révision générale des politiques publiques (RGPP), cette machine à réduire le train de vie de l’Etat pour lui faire perdre sa graisse, se fait certes à Bercy, mais ce sont Guéant et Faugère qui arbitrent et jouent les chefs d’orchestre. Jamais dans l’histoire de la République, les préfets n’ont été à ce point puissants. Là encore, il est piquant de constater que tous ces hommes se sont croisés sous le patronage du trio Pasqua-Séguin-Chevènement et de l’autre politique des années 1993-95. La trace n’est pas seulement sociologique. Elle est également idéologique. L’apport de Jean-Pierre Chevènement auprès de Ségolène Royal pendant la dernière campagne présidentielle a été maintes fois signalé (l’ordre juste par exemple). Le tour sécuritaire que prend la politique du gouvernement (la récente proposition d’un couvre-feu pour les mineurs délinquants notamment) renvoie à un thème récurrent de cette école de pensée. Il n’y a pas là seulement une finesse tactique liée aux prochaines élections régionales et au Front national. Contre l’esprit de 68, l’autre politique, de gauche comme de droite, a toujours revendiqué qu’il fallait d’abord rétablir l’ordre républicain dans la rue et l’autorité dans les écoles avant de penser à mettre en œuvre des politiques publiques. De la même manière qu’elle ne déteste rien tant que le communautarisme, elle n’hésite pas à prôner l’assimilation en matière migratoire. L’affaire de la burqa est symptomatique. Nicolas Sarkozy l’a dit avec force dans la Drôme : « La France demande à ceux qui veulent lier leur sort au sien de prendre aussi son histoire et sa culture en partage. La France ne se pense pas comme une juxtaposition de communautés ou d’individus. La France n’est pas seulement une communauté d’intérêts. Devenir français, c’est adhérer à une forme de civilisation, à des valeurs et à des mœurs. »
Tous ces éléments étaient dans le programme du candidat en 2007, mais ils cohabitaient avec d’autres d’inspiration libérale, renvoyant à un modèle anglo-saxon. On voit bien que la balance est en train de pencher dans un sens. C’est cette inflexion qu’il faut souligner aujourd’hui. Disons qu’avec Claude Guéant et ses amis, elle a trouvé les hommes orchestre d’une mise en œuvre qui bouleversera l’Etat mais aura évidemment d’autres conséquences sur tout le champ social. Dont une est immédiate : où le grand débat sur l’identité nationale va-t-il se dérouler, où citoyens, partis politiques, associations, syndicats sont-ils conviés pour discuter de ce qui rassemblerait les gens qui vivent dans l’Hexagone ? Mais en préfecture bien sûr. C’est-à-dire l’endroit le plus détesté des immigrés. C’est l’avantage des hommes de l’autre politique que de ne rien laisser au hasard.
Certes, la politique est affaire humaine. Chacun arrive avec sa biographie et ses convictions. L’épopée sarkozyenne de la prise du pouvoir mêlait grands patrons et policiers, cadors du CAC et gens de la préfectorale. Il n’est pas banal d’observer le poids grandissant de ces derniers dans l’appareil d’Etat et l’entourage du chef de l’Etat. Qui aurait pu dire, en 1995, au moment où Jacques Chirac tournait le dos à « l’autre politique » et dispersait la troupe, que l’histoire repasserait ainsi le plat ?
Gérard DESPORTES Mediapart